MISSION BEAUTE INCLUSIVE : 3 ACTEURS TEMOIGNENT
16 MAI 2019
Cette année, à l’occasion de ses Assemblées Générales, le CEW recevait 3 professionnels de l’industrie qui s’inscrivent dans cette vision d’une beauté utile et pas futile, que le réseau défend depuis 25 ans ans avec ses Centres de Beauté. Les engagements de ces 3 acteurs étaient déjà connus des participants puisque qu’il s’agissait des 3 nommés dans la catégorie « Initiative Solidaire » de la dernière cérémonie des Achiever Awards (octobre 2018).
- Alexia Cassar, créatrice de The Tétons Tattoo Shop, offre aux femmes qui ont eu un cancer du sein, une étape clé dans la réappropriation de leur corps.
- Sophie Cauchi, directrice de la communication chez Givaudan, responsable du programme d'ateliers olfactifs destiné aux jeunes aveugles de l’INJA
- Laurent Gaudens qui, avec son épouse, dirige Dulcenae, le premier institut de beauté inclusif en ville à Paris dans le 9ème.
La discussion a démarré par un film, réalisé par Laurence Dorlhac (Journaliste Beauté France 2 et membre du CEW) pour TéléMatin, autour de ce thème de l’inclusivité qui « arrive dans le monde de la beauté » avec l’exemple de l’institut de beauté de Laurent et Sophie Gaudens. Voir le film
LAURENT GAUDENS
Laurence Moulin, DG du CEW, poursuit la conversation en commençant par présenter le parcours de Laurent :
« On ne peut séparer votre histoire personnelle de ce projet d’institut inclusif. Il y a 2 facteurs clefs dans cette histoire. Votre accident à 4 ans où vous êtes brulé par un retour de flamme d’un barbecue et votre couple puisque comme vous le dites, vous-même, « avec ma femme, mon associé, à nous deux, on incarne cette inclusivité qu'on veut développer avec notre institut Dulcenae »
La 1ère étape avant d’arriver à la création de Dulcenae va être votre prise de conscience du désœuvrement des autres grands brulés. As de la résilience, étudiant puis adulte très intégré dans la société, vous impressionnez votre chirurgien plastique, le Docteur Françoise Firmin qui vous demande d’aider d’autres grands brulés à s’intégrer. Vous découvrez à ce moment-là un monde de gens qui se cachent, ne sortent pas et c’est un choc. Vous décidez de fonder Burn and Smile pour initier une démarche de resocialisation avec 3 objectifs : Sortir de l’isolement ces grands brulés en créant une communauté, travailler leur estime de soi (Ils ont souvent plus peur d’eux-mêmes que des autres), favoriser leur retour à l’emploi et à une vie sociale »
Q : C’est cet engagement et votre expérience personnelle des instituts de beauté, qui vont vous amener jusqu’au projet Dulcenae. Rappelez-nous-en la genèse, car vous n’étiez pas, ni votre épouse, issu de ce secteur de l’esthétique ?
L’idée a germé le jour où j’ai cherché une socio-esthéticienne pour bénéficier d’un soin adapté à ma peau à particularité et qu’on m’a répondu : on intervient à l'hôpital, on intervient dans les centres sociaux, en milieu carcéral, mais pour vous, ça va être compliqué. C’est là qu’on a eu cette idée de mettre la socio-esthétique en ville. Il faut savoir que lorsqu'on sort du parcours de soins, si on a envie de mettre sa maladie ou son handicap un petit peu derrière, il n’y a rien. C’est très dur d’accéder à ces soins qui font vraiment du bien
Q : Vous appelez votre lieu, un spa urbain parce que vous sélectionnez des socio-esthéticiennes qui savent masser ce qui est très important. Vous dites il y a trois attitude vis à vis des gens qui ont des spécificités de peau et qui sont toutes trois mauvaises :
Il y a celle qui masse comme s'il n'y avait rien, celle qui hésite et a peur et puis celle que j’ai rencontré un jour et qui m'a regardé l’air catastrophé. Je pense que si ça avait été quelqu'un de fragile psychologiquement, ça l’aurait vraiment détruit.
Q : Vous gagnez le concours de la fabrique Aviva et c’est ce qui va vous permettre de vous lancer et vous dites le plus important c’était d’ouvrir un endroit normal
La première raison, c'est que lorsqu'on sort de l'hôpital, on a vraiment envie d'être considéré comme quelqu'un de normal, de reprendre sa vie, de se reconstruire. On a donc construit un lieu où il n'y a rien qui vous rappelle votre maladie. Tout a été fait pour que vous vous sentiez à l’aise. Exemple : vous avez une perruque, on a un porte perruque, vous avez un chien guide ? on a la gamelle pour le chien. Vous êtes en fauteuil roulant, vous pouvez circuler dans l’institut sans problème, en totale autonomie. De patients, ils se retrouvent dans une posture de client, et ça leur fait du bien. On fait l'acte de payer quelque chose, on est en train de marcher, avancer et c'est important pour reprendre une vie normale,
Dans le protocole Dulcenae, tout est réfléchi. L’esthéticienne rentre avec vous dans la cabine et en ressort à la fin du soin. Car si elle revient après que vous vous soyez déshabillé, le « toc toc », est un stimuli trop proche de celui de l’infirmière qui rentre dans la chambre. L'esthéticienne reste pendant une heure avec vous. Elle est vraiment là que pour vous. Mais le lieu est ouvert à tous, et 70 % des gens qui viennent sont sans particularité. On leur fait découvrir la socio-esthétique et finalement tout le monde aime être écouté, accueilli avec un regard bienveillant, bénéficier d’un toucher adapté.
ALEXIA CASSAR
"Pendant 15 ans vous travaillez pour l’industrie Pharmaceutique dans différents services d’oncologie. Vous connaissez donc bien l’univers du cancer et ceux qui en sont victimes. Mais c’est la leucémie de votre petite fille qui va vous donner envie de passer du côté des aidants, des accompagnants. A la rémission de sa maladie vous faites tatouer. Ce n’était pas un tatouage thérapeutique mais vous dites qu’il vous a aidée à la résilience. Vous décidez alors de vous former au tatouage et vous suivez un vrai parcours initiatique avant d’ouvrir ce salon de beauté dédiée à la reconstruction des aréoles et des mamelons par la technique du tatouage 3D."
Q : Quelles ont été les différentes étapes de votre projet et de votre formation ?
Effectivement, le tatouage m’a aidé à me reconstruire sur le plan émotionnel et de manière assez symbolique, de tourner la page. Quand j'ai découvert qu'il existait cette technique du tatouage 3D du mamelon et de l’aréole aux États-Unis, j’ai été très surprise de constater que ça n'existait pas en France. Il a donc fallu faire un long chemin très initiatique.
Je suis devenue apprenti tatoueuse auprès d'un maître. Parce que le tatouage n'est pas un métier reconnu et n'a pas de formation reconnue, la méthode la plus acceptable pour apprendre ce métier, c’est d'apprendre avec un maître. J'ai aussi fait aussi une formation conseillée par les chirurgiens à ce qu'on appelle la dermopigmentation médicale réparatrice, utilisée dans les hôpitaux par les infirmières pour reconstruire les aréoles des personnes. Très rapidement, j'ai constaté que c'était une technique semi-permanente peu satisfaisante, qui nécessitait des retouches fréquentes et qui surtout nécessitait d'être toujours dans le milieu médical. Car il y a aussi, comme le disait Laurent, ces stimuli négatifs du retour à l'hôpital, de se reconsidérer à nouveau malade, de revivre un peu toutes ces épreuves.
Je suis aussi partie aux États-Unis me former à la spécificité du tatouage 3D. Tout ça a participé à l'idée de créer un lieu spécial, un lieu dédié. Grâce aussi à la générosité du grand public puisque c’est un financement participatif qui a lancé The Tétons Tattoo Shop.
Q : C’est bien plus qu’un tatouage qui se joue dans votre cabine. Vous dites être un passeur, celui de la dernière étape vers la reconstruction ?
Oui, on a cette vocation de mettre la « cerise sur le gâteau ». Au final, beaucoup de chirurgiens disent que ce qui fait un sein, ce n’est pas uniquement son volume, c'est aussi l'intention qu'on y met. Et c'est effectivement souvent cette dernière étape qui peut transformer la vision qu'on a de soi afin de retrouver une image corporelle satisfaisante qui peut permettre de se projeter à nouveau dans la vie, dans la conjugalité et dans la sexualité, souvent mise en berne par la maladie. Dans l'intimité de ce petit cocon, on parle de tout. On parle de leur vie intime. On parle de la vie professionnelle et c'est un peu un starter, un booster de vie. Parce que quand elle se découvre dans un miroir, elle se retrouve. Quels que soient les souffrances et les cicatrices, se retrouver belle, c'est aussi se donner la possibilité de réintégrer la vie.
Certains, ont la chance d'avoir un partenaire, compagnon ou mari, une femme qui est restée. Ils viennent en couple et là aussi se jouent des choses très intimes. Dans le cabinet j’ai un système de verrière qui permet de garder un contact visuel entre le partenaire et la personne qui est tatouée ou parfois sa fille ou son ami. Parce que le lien est important, il y a beaucoup de choses qui se jouent dans le regard de l'autre aussi. Le regard de l'autre permet aussi de se projeter dans l'après. Et puis, je leur tiens un peu la main et les aide un peu à renouer la vie de couple. C'est important.
Q : Vous avez aussi des hommes
Absolument. Les cancers du sein masculins sont souvent très, très peu accompagnés et la perte de repère du schéma corporel est le même mais il y a une omerta parce que l'esthétique est considérée comme quelque chose de féminin. On est tous bien placé dans cette salle pour savoir que c'est pas du tout genré l’esthétique. Il y a vraiment une nécessité d'adapter les soins et d'adapter aussi la prise en charge.
Q : Il faut se battre pour conserver et développer ce geste. Il serait logique de lui trouver une place dans l’arsenal. Mais il faut contrôler et là vous tirez les sonnettes d’alarme.
C’est le drame de mon métier et de ma médiatisation, car les cabinets se multiplient sans contrôle et font des ravages. En France Le tatouage n’est pas enseigné : Il n’y a pas de diplôme juste 21 heures d’hygiène.
Moi, ça m'a pris une bonne année de réflexion, de recherches bibliographiques puis une année de formation au tatouage suivie d’une formation au tatouage réparateur et au tatouage 3D aux Etats-Unis. Il faut aussi une technicité sur les tissus irradiés. C'est un matériel complètement différent. Et en plus de la technique, Il faut aussi être formée à l'accueil de la personne malade. Il y a donc un investissement assez lourd que les gens ne sont pas forcément prêts à mettre en place.
Aujourd'hui, je vois de plus en plus de gens, sous couvert d'une simple formation à l'hygiène, ouvrir des salons, donner leur carte de visite dans les hôpitaux et les médecins font confiance. Sans encadrement, cette technique est vraiment en danger. J'appelle les patientes et les patients à être vigilants. C’est une technique avec laquelle vous avez autour de 80% de succès du premier coup. C’est un soin simple. Et cette dernière étape est tellement importante pour la reprise de la confiance en soi.
SOPHIE CAUCHI
Sophie, avec vous on va voir une autre initiative, celle de Givaudan qui depuis 6 ans a initié une action d’ateliers olfactifs pour de jeunes aveugles. Vous le savez, vous prêchez ici chez des convaincus des bénéfices de ce type d‘initiatives puisqu’au CEW, nous avons aussi dans les hôpitaux une action d’ateliers alfactifs auprès des patients en partenariat avec une autre grande maison de parfums, IFF).
A l’origine du projet de Givaudan, il y a la volonté de la société et de son président de s’engager dans un projet RSE qui donne du sens à cette entreprise dans le parfum. Sous l’impulsion du DG fine fragrance à NY, vous vous intéressez à la cause des jeunes aveugles. Vos recherches vous amènent à rencontrer l’INJA (institut national des jeunes aveugles), un établissement public qui accueille des enfants et ados de 4 à 18 ans.
Q : Comment démarre l’aventure ?
C'était une vraie volonté. J'ai vraiment été convaincue qu’il y avait quelque chose à faire entre cécité et parfum. On a fait plusieurs recherches, et on s’est intéressés à L’INJA, établissement public, qui va du cours préparatoire à la terminale. Ils ont donc tous les âges. Nous avons donc frappé à leur porte en leur proposant de créer des ateliers, ou en tout cas, à travers le parfum, d'aider les enfants non-voyants. Ça a été un peu compliqué car c’est un établissement public, avec une hiérarchisation et une administration très lourde. Passée cette première difficulté, la rencontre avec les équipes pédagogiques a été extraordinaire. Ils ont tout de suite senti qu'il y avait sûrement quelque chose à faire. On a commencé à imaginer des ateliers très simples pour les enfants, en fonction des besoins des classes.
On a commencé par un premier atelier avec des enfants assez petits qui avaient entre 6 ans et 8 ans et qui étaient partis en classe verte. On leur a élaboré un petit album olfactif de leur voyage. Beaucoup d’émotions ! Le souvenir le plus important pour eux, c'était l'odeur de la chips paprika et la deuxième vraiment plébiscitée : l'odeur du gazole à la station service.
Q : Vous avez ensuite poursuivi l’expérience avec d’autres projets et d’autres classes, dont une avec des adolescents en classe de troisième ?
Chaque année, avec les équipes pédagogiques de l’INJA, on travaille sur quatre ateliers pour quatre classes. On s'adapte en fonction des thématiques que veulent travailler les professeurs en général d'histoire géo, sciences naturelles. Et là, ils voulaient aller sur la thématique du jardin et faire créer aux élèves un parfum sur cette thématique, ce qui laissait une très large marge de liberté. Ils savaient que ce serait une classe assez difficile parce qu’au-delà du handicap de la cécité, les élèves étaient confrontés à d'autres problèmes neurologiques ou physiques qui s’ajoutaient.
On a commencé les premières séances en leur expliquant, qu'est-ce qu'un parfum ? Quel est l’univers du parfum ? Pas évident pour ces enfants qui sont pensionnaires et qui en plus de leur handicap viennent de familles souvent très défavorisées. Des enfants pas très gâtés par la vie.
Les premières séances, ils étaient très passifs et on a eu des doutes sur les choix pédagogiques. A la quatrième séance. On leur a parlé de brief, d’histoire à raconter, ce qu'on veut dire à travers le parfum. Si on a senti un léger réveil des enfants, quand on est arrivé à Noël, on s’est quand même vraiment demandé si on ne s’était pas trompés de méthode. On décide de laisser passer les fêtes. Au retour des vacances, on reçoit leur brief. Alors là, premier petit miracle des histoires absolument extraordinaires, complètement différentes, une histoire d'amour, une histoire dans un jardin très naturel, une sorte de dragon avec des étoiles comme un jardin imaginaire sur la Lune. On commence à se dire qu’en fait ils ont tout entendu, senti les parfums, les odeurs. Les dernières séances, où il s‘agissait vraiment de créer son parfum avec les élèves de l'école de parfumerie Givaudan, on les a vus s’ouvrir, se mettre à parler, vouloir faire des mélanges, sentir des bases.
Ce qui est merveilleux, ces enfants étaient en 3ème année du brevet et les professeurs ont été impressionnés de voir cet éveil au monde. Un professeur a même dit qu’il voulait faire appel à l’éducation nationale pour faire rentrer des cours d‘olfaction dans les programmes pour non-voyants, parce qu’en termes de support pour les enfants, à tous les niveaux, l'écriture, le mot, l'expression, les repères dans l'espace, c'était quelque chose de très important. Un programme très complémentaire du braille. Ça a été une vraie découverte pour le corps éducatif qu’ils veulent partager avec autres établissements.
Voir le film réalisé par Laurence Dorlhac (Journaliste Beauté France 2 et membre du CEW) pour TéléMatin
Voilà jusqu'où peut mener la beauté. 3 belles expériences qui illustrent parfaitement cette conviction du CEW : « la beauté n’est pas futile, elle aide à mieux vivre ».